Floriane Stauffer Obrecht

 

 

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Pourquoi faut-il dénouer les liens entre la naissance et l’hôpital ?

24/09/2019

Pourquoi faut-il dénouer les liens entre la naissance et l’hôpital ?

Témoignage et positionnement de Laurent Vercoustre, gynécologue obstétricien au Havre, 22/09/2013, conférence de la société d'histoire de la naissance à Châteauroux

 

Plaidoyer pour la réhabilitation de l'accouchement à domicile

La Question  

 

Il y a quelques jours, je faisais ma visite à l’hôpital, dans notre unité des grossesses pathologiques. Quand je me suis trouvé dans l’intimité d’une chambre, j’ai posé tout simplement à la patiente, ainsi qu’à la sage-femme et à l’interne qui m’accompagnaient, la question : 

- Que pensez-vous de l’accouchement à domicile ? 

- Je ne pensais pas que ça se faisait encore, m’a répondu la patiente. 

L’interne a simplement fait une moue qui traduisait sa perplexité. La sage-femme m’a dit fermement : 

- En tout cas, moi, jamais je n’accoucherai à domicile. 

Je posais plus tard la même question à une assistante du service, elle me répondit : 

- C’est de la pure folie ». 


Voilà donc remplie la mission que madame Marie France Morel m’avait suggérée : sonder l’opinion des soignants de l’hôpital sur cette question de l’accouchement à domicile. 

 

On voit donc quel statut a cette question aujourd’hui à l’hôpital. A l’hôpital et probablement dans l’opinion commune, il faut bien reconnaître qu’elle n’existe tout simplement plus, elle est morte et enterrée et quand on la ressuscite eh bien on prend dans la figure « C’est de la folie » Pourtant nous sommes tous réunis aujourd’hui pour en discuter, nous ne sommes pas dans un asile, nous sommes tous sains d’esprit. 

 

Pourtant, je suis venu de mon hôpital avec enthousiasme pour parler de l’accouchement à domicile et je vous remercie du grand honneur que vous me faites de m’avoir choisi pour soutenir votre revendication. 

 

2/D’où je parle 

 

Alors c’est tout de même un peu curieux, un peu bizarre un obstétricien qui exerce depuis près de 30 ans à l’hôpital et qui soutient l’accouchement à domicile. Comment ça se fait-il ? On m’aurait dit, il y a 20 ans, que je viendrais un jour devant une assemblée d’experts défendre l’accouchement à domicile, je ne l’aurais pas cru. Je représentais il y a 20 ans cet archétype que vous connaissez, auquel vous vous heurtez constamment, ce praticien hospitalier pétri de certitudes, élevé à l’hôpital, vivant à l’hôpital, pour qui l’hôpital est presque une seconde nature et dont les catégories mentales sont incapables, ne serait-ce que d’entrevoir d’autres horizons que celui de son hôpital. 

 

Ce qui a transformé mon regard c’est sans nul doute ma rencontre avec un philosophe qui a beaucoup réfléchi sur l’histoire de la médecine et ce philosophe c’est Michel Foucault. Alors bien sûr je ne vais pas vous faire aujourd’hui un exposé sur Michel Foucault. Mais il fallait bien que je m’explique sur cette transformation du regard. Il fallait bien que je vous dise d’où je parle aujourd’hui. 

 

Peut-être certains sont un peu déçus que je parle de philosophie et regrettent déjà que je ne leur rapporte pas mon expérience de terrain. Je les entends secrètement penser : la philosophie c’est de l’abstraction, de la spéculation inutile, nous voulons rester dans le concret, nous voulons rester pratiques. Eh bien ce que je voudrais leur montrer c’est que la philosophie, que l’effort de pensée que je leur propose aboutit exactement à l’inverse, à découvrir derrière ce que nous croyons réel et bien concret une abstraction, une construction de l’esprit. 

 

Foucault disait de sa pensée « J’essaie simplement de faire apparaître ce qui est immédiatement présent et en même temps invisible. Mon projet de discours est un projet de presbyte ; je voudrais faire apparaître ce qui est trop proche de notre regard pour que nous puissions le voir, ce qui est tout près de nous, mais à travers quoi nous regardons pour voir autre chose »1. En en un mot grâce à Foucault, j’ai pu chausser ces lunettes de presbyte et regarder donc cet hôpital dans le quel je travaillais différemment. 

 

Avec ces lunettes de presbyte, j’ai pu reconnaître toutes ces forces, ces jeux de pouvoir qui font que, sans nous en rendre compte, nous imposons aux femmes toutes sortes de contraintes qui n’ont rien de naturelles, nous leur imposons la position allongée, nous leur imposons nos espaces médicalisés, et avec eux tout un quadrillage spatial, toute une temporalité disciplinaire 

 

3/L’argument de la sécurité, l’hémorragie 


Rassurez vous pourtant avant de nous envoler vers des espaces plus philosophiques je voudrais commencer par une réflexion purement médicale à partir de mon expérience de terrain, du terrain hospitalier. J’exerce donc dans une maternité niveau 3 et nous réalisons 3600 accouchements par an. 

 

Réflexion sur le thème de la sécurité, car c’est cet argument, est-il besoin de le souligner, qui trace en quelque sorte la ligne de partage entre les partisans de l’hôpital et ceux de l’accouchement à domicile. 

« Quand ça saigne comme un robinet ouvert, on est quand même mieux l’hôpital qu’à domicile », me disait une jeune assistante la semaine dernière. 

 

L’argument de l’hémorragie c’est l’argument que les opposants à l’accouchement à domicile saisissent en premier, qu’ils exhibent, qu’ils brandissent triomphalement, avec cette certitude tranquille, et avec parfois avec un soupçon de cruauté sadique, Car ils sont convaincus que cet argument est imparable et que grâce à lui, ils vous ont définitivement mis KO. 

 

Il est bien difficile d’expliquer à ces militants ainsi bardés de certitudes que, en réalité, on peut voir les choses tout à fait différemment et même de façon rigoureusement inverse. 

 

C’est l’hôpital qui est devenu dangereux dans l’hémorragie du post-partum. Et ça ce n’est pas une vue de l’esprit c’est un constat que j’ai fait lorsque notre maternité a déménagé, il y a 4 ans ; notre maternité autrefois très à distance (10 km) de l’hôpital principal, s’est installé immédiatement à côté.

 

L’argument était, il faut pour la sécurité des patientes, que la maternité soit contigüe avec le plateau technique, avec la réanimation, avec les blocs chirurgicaux, avec la radiologie interventionnelle. Et dans les mois qui ont suivi notre déménagement, je n’ai jamais vu autant d’hémorragies de la délivrance, et surtout autant d’hémorragies de la délivrance qui se terminaient au bloc chirurgical. « On passe au bloc » c’est comme çà que disent les jeunes assistants avec une certaine fierté. Et quant ils passent au bloc c’est pour faire ces abominables interventions qui consistent soit à lier les principaux vaisseaux qui nourrissent l’utérus, soit plus abominables encore à ficeler l’utérus comme un vulgaire gigot pour arrêter l’hémorragie. 

 

Pourquoi en est-on arrivé à cette catastrophe ; Parce que précisément ce rapprochement de la technique, du plateau technique n’est pas contrairement à l’idée reçus, un gage de sécurité. Dans le sens commun la technique est toute puissante, elle résout tous les problèmes. Eh bien dans le cas de l’hémorragie de la délivrance, c’est le contraire, parce qu’on utilise trop rapidement et sans discernement des moyens disproportionnés à la pathologie que l’on traite. Quatre vingt dix neuf fois sur cent, ces hémorragies pourraient se résoudre avec des moyens simples non chirurgicaux. 

 

Et d’ailleurs, il y a deux ans, un ami obstétricien me parle de cette nouvelle technique qui consiste à introduire un ballonnet dans la cavité utérine pour tamponner. Je lui dis j’aimerais bien essayer cette technique dans notre service et j’ajoute, je préférerais que mes jeunes assistants jouent au ballon plutôt qu’ils n’infligent ces interventions qui ont assez souvent des complications graves. Depuis que le ballon est disponible dans le service, je n’ai plus eu à déplorer de passage au bloc pour ces interventions mutilatrices. 

 

Je tenais vraiment à développer ce problème de l’HD car il illustre bien cette tyrannie de la technique. Attention il ne s’agit pas de nier les bienfaits de la technique, la transfusion, la chirurgie, la radiologie interventionnelle, sauvent des vies, il s’agit de l’utiliser à bon escient. Ce qui demande de résister à sa séduction, ce qui demande de constamment faire cet effort de réflexion, de mise en perspective des moyens. Or un interne aujourd’hui, met sur le même plan, considère comme un même domaine d’objets, la révision utérine, les utérotoniques, la ligature des pédicules vasculaires. 

 

4/ Les études, quelle rationalité ? 


Maintenant, élevons d’un cran notre réflexion. Essayons de voir, d’examiner, de prendre un peu de recul sur le type de rationalité que nous utilisons quand nos argumentons pour ou contre l’accouchement à domicile. Je m’explique. Quand nous voulons comparer les risques de l’accouchement à domicile avec ceux de l’accouchement en milieu hospitalier, nous faisons appel à un certain type d’étude qui a pour caractéristique :

- L’observation, l’observation de 2 populations, l’une accouchant à la maison, l’autre à 

l’hôpital - des tests statistiques qui cherchent à estimer la part de hasard qui pourrait affaiblir le 

résultat - Des critères de sélection qui éliminent autant que possible des biais 

 

Or je crois qu’il y a d’une façon générale une certaine méprise dans le monde médical sur la catégorie de vérité que délivre ce type études. 

 

Les obstétriciens s’imaginent qu’ils vont trouver dans les études qu’ils font sur leurs pratiques des vérités définitives. Par exemple sur la question de l’accouchement par le siège, on se bat à coup d’études randomisées pour dire « il faut faire une césarienne dans tous les cas » comme le recommandent les anglo-saxons ou bien il n’est pas question de faire une césarienne systématiquement comme l’affirme notre Collège français. 

 

Au fond les médecins, je crois, confondent le type de vérité qui est au bout de ces études avec cet autre ordre de vérité qui leur est familier, celui des vérités de nature comme la glycémie ou bien le taux d’hémoglobine dans le sang. Ce sont là des vérités d’un ordre expérimental radicalement différent. On peut penser que la glycémie est la même quelque soit la race aux quatre coins de la planète, et qu’elle était aussi la même qu’aujourd’hui chez les hommes préhistoriques, bien qu’on en aura jamais la certitude. 

 

A l’inverse les études sur les pratiques ne nous livreront jamais d’universaux, de vérités à la fois universelles, trans ou métahistoriques. 

 

Ce que je viens de dire avec des grands mots, on peut le dire de façon beaucoup plus simple et même trivial. Comment peut-on envisager à propos de l’accouchement par le siège une règle universelle et transhistorique qui imposerait la césarienne systématiquement quand on sait qu’il y a 200 ans la césarienne n’existait pas et que d’autre part dans certains pays subsahariens le taux de césariennes n’est que de 1%. 

 

Voilà pourquoi il n’y a en matière de lieu d’accouchement aucune vérité qui nous surplombe, qui nous attendrait depuis toujours dans le ciel de l’obstétrique, et dont on pourrait faire une loi universelle et définitive. 

Ces études établissent certes un lien de causalité entre des phénomènes, mais leurs résultats restent entièrement liés aux conditions de l’expérience. Et ces conditions sont toujours totalement immergées dans l’histoire 

On peut dire encore les choses plus simplement : quand on compare accouchement à domicile et accouchement à l’hôpital, on ne peut évidemment considérer la maison ou l’hôpital comme des invariants universels, mais cela a déjà été dit la maison du Moyen-âge n’a rien à voir avec la maison d’un pays occidental développé, .... disons d’une maison de Châteauroux aujourd’hui. 

 

Il ne s’agit pas de balayer d’un revers de main cette catégorie de vérité, elle nous apporte des informations que l’on doit prendre en compte dans notre pratique, mais on doit toujours les prendre pour ce qu’elles sont, des vérités provisoires, et des vérités concernant des populations. Or dans notre cabinet nous n’avons pas affaire à une population mais à une patiente, à une individualité que nous devons respecter pour ce qu’elle est. 

Et quand une patiente fait le projet d’accoucher à domicile c’est bien pour affirmer son individualité, sa volonté d’échapper à l’univers disciplinaire de l’hôpital, de préserver son intimité. 

 

Vous savez sans doute le mot éthique dérive du mot éthos ; Et l’éthos, en grec ancien, chez des auteurs comme Hérodote, caractérise le lieu d’habitation des êtres humains. Voyez donc que l’étymologie confère à la revendication d’accoucher à la maison toute sa dimension éthique. 

 

Et dans cet hôpital où j’exerce tous les jours où je prends des gardes eh bien j’ai le sentiment que quelque chose se perd, quelque chose qui est de l’ordre de la liberté, que, à l’hôpital, la patiente, la femme, la mère est encore, je dirais en reprenant une formule de Kant, en état de minorité. Elle reste entièrement assujettie au pouvoir médical. 

 

J’ai reçu il y a quelques jours dans mon courrier électronique un message intitulé Prise de boisson pendant le travail.

Je vous le lis : Autoriser eau jus de fruit sans pulpe, de préférence température ambiante Respecter la régulation naturelle de la prise Pas de boissons gazeuses, ni de laitage :

 

Critères d’exclusion : Obésité (IMC 

30 avant grossesse) Diabète sous insuline Risque de césarienne Intubation difficile Dilatation complète 

En cours de travail : STOP BOISSONS 

 

A Dilatation complète pour toute parturiente Si malaise maternel (vomissements) Si suspicion de césarienne (anomalies du partogramme, anomalies du rythme cardiaque foetal) 

Si Décision césarienne STOP BOISSONS 

Voilà un discours typique de l’hôpital qui, cela ne vous a pas échappé, énonce des évidences en se donnant des allures de discours scientifique. A l’évidence, discursivité à la limite du grotesque qui enfonce des portes ouvertes et qui infantilise les patientes, discursivité typique de l’hôpital. 


5/ Analytique du pouvoir 


Revenons à des choses plus sérieuses, et élevons d’un cran supplémentaire notre réflexion. J’ai utilisé, il y a un instant, le mot pouvoir en montrant du doigt ce pouvoir médical qui infantilise les patientes. Eh bien je crois que si l’on cherche un principe de compréhension efficace à la fois pour expliquer les blocages et faire avancer la question de l’accouchement à domicile, c’est du côté d’une analytique du pouvoir qu’on peut la trouver. Et c’est ici que Michel Foucault nous donne quelques clés précieuses. 

 

C’est à Foucault que nous devons le concept de biopolitique. C’est lui qui a forgé ce mot. Que signifie ce concept : eh bien qu’il existe une forme de pouvoir qui porte sur la vie, sur la vie des gens, sur la vie des populations, cette forme de pouvoir c’est le biopouvoir. Et puisque je m’adresse à des historiens de la naissance, je rappelai que ce biopouvoir, il s’est manifesté pour la première fois au XVIIIe siècle, au moment où les Etats prennent conscience que ce qui constitue leur richesse, c’est précisément la population. « Il faut multiplier les sujets et les bestiaux » écrit en 1763 un certain Monsieur Turmeau de la Morandière et on lit en 1778 sous la plume d’un autre essayiste « que la population est le plus précieux trésor du souverain ». Voilà pourquoi depuis cette époque, la naissance sera de plus en plus sous contrôle de l’Etat. Certes il a fallu attendre la fin des années 60, avec le fameux décret Dienesch pour que l’accouchement soit accaparé par des espaces médicalisés, cliniques ou hôpitaux, dont on a très précisément défini les normes. 

 

Pour Foucault la médecine est autant une stratégie de pouvoir qu’une science. L’hôpital se présente comme le temple de la science médicale. En réalité l’hôpital est beaucoup plus l’expression d’une certaine forme de pouvoir, et la science médicale se joue aujourd’hui sans doute beaucoup plus en dehors de l’hôpital. Je ne peux évidement pas développer dans le peu de temps qui me reste cet aspect qui est l’objet de mon livre « Faut-il supprimer les hôpitaux ?». 

 

Ce que je veux faire comprendre c’est qu’il ne faut pas réserver la science à l’hôpital. Il n’y a pas d’un côté, l’hôpital et la science, la rigueur, science et rigueur qu’on associe à la sécurité, et de l’autre l’accouchement à domicile qui représenterait un retour à une naturalité perdue, une aventure avec une prise de risque. L’accouchement à domicile est, avant tout, une autre façon d’accoucher, une autre façon d’accoucher qui est aussi susceptible de produire de la science et de nous apprendre des tas de choses que l’hôpital ne nous a pas révélées. 

 

Et ce qui me paraît extrêmement intéressant avec vous, avec votre militantisme pour le retour de l’accouchement à la maison, c’est qu’il représente aujourd’hui dans notre paysage social et médical, peut-être le seul exemple d’opposition, de contre-conduite, le seul îlot de résistance à ce pouvoir médical, encore, et quoiqu’on en dise, si puissant. 

 

Je voudrais pour terminer par une réflexion hautement philosophique à propos d’ une date d’une importance capitale dans l’histoire de l’accouchement à domicile, cette date c’est le 1/09 /1949, le 1 /09 /1949 c’est ma date de naissance : 1er jumeau je précédais mon frère de quelques minutes, nous étions à terme, nous pesions respectivement 7 livres et 7 ivres 1/2, cela se passait à domicile, dans un cinquième étage, et la légende familiale veut que c’était par une nuit d’orage, et qu’il y avait une panne d’électricité, nous sommes nés mon frère et moi à la bougie et ce n’est que le lendemain matin.que le médecin passa pour recoudre l’épisiotomie de ma mère. 

 

Et voici ma réflexion, si j’avais gardé un si mauvais souvenir de ma naissance je n’aurais pas le grand plaisir d’être au milieu de vous aujourd’hui.

 

1 Michel Foucault, Le beau danger, entretien avec Claude Bonnefoy, Collection « Audiobiographie », Éd. EHESS, 2011.