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29/04/2020
article rédigé pour le site de l'APAAD
Dans le Dauphiné libéré du 04/02/2020, voici l’interview que nous pouvions lire dans un dossier sur l’accouchement à domicile. L’APAAD souhaite revenir dessus tant les propos du gynécologue interviewé sont caractéristiques des préjugés et données biaisées que la communauté médicale se permet souvent de véhiculer sans le moindre recul.
« L’AAD c’est d’abord une très grande prise de risque »
Faut-il encore revenir et re-citer les données épidémiologiques 2018 de l’APAAD [1], les études internationales récentes sur le sujet ou les prises de positions des fédérations professionnelles internationales ?!
Apparemment oui et pourtant… Les professionnels ont le devoirs de fournir une information « éclairée » et « loyale » aux patients. Que ce soit en consultation ou en rendez-vous, informer sur la base de ses croyances personnelles, de ses propres peurs ou de son (in)expérience n’est pas une information éclairée et loyale mais une information partiale.
Le mythe des PAYS-BAS
Dans tous les débats, les Pays-Bas sont cités en référence et notre système de santé opposé au leur. Les Pays-Bas auraient un système miraculeux inapplicable en France. Dans l’interview, le gynécologue va jusqu’à justifier cette différence par le fait que les Pays-Bas sont plats et denses.
Pour rappel l’AAD n’existe pas uniquement dans des pays « plats ». Comment ont fait nos voisins suisses avec leurs montagnes et nos cousins canadiens avec les distances considérables qui les séparent ?! excusez-nous pour l’ironie du ton mais cet argument est plus que contestable.
Ensuite nous ne serions pas assez bien organisés en France, nous n’aurions pas la capacité de sécuriser nos transferts. Cela est quand même surprenant d’un pays qui a su développer l’hospitalisation à domicile avec pour mission à cette dernière, comme le dit la Direction Générale de l’Organisation des Soins (DGOS), de prendre en charge le plus exigeantes des situations [2].
D’ailleurs dans différentes régions de France, et pas les mieux desservies en maternité d’ailleurs, des initiatives locales de partenariat avec des hôpitaux ou des SAMU démontrent à quel point, avec de la bonne volonté et du respect les uns envers les autres, il est possible de s’organiser de manière simple pour anticiper et optimiser les transferts d’AAD.
La France fait partie des 23 pays avec le meilleur système de soin au monde [3] et des 11 meilleurs en Europe [4]. Si elle est sortie en 2015 du « top ten » européen c’est du fait de la suppression du recourt direct aux spécialistes et de la tendance forte à la médicalisation et la prescription de médicaments [5]… Pécher par excès de zèle en terme de santé, cela est assez caractéristique de notre pays et le parallèle avec la gestion de la périnatalité est criant.
« La mortalité néonatale s’est effondrée par notre seule offre de soin moderne »
Évidemment passage obligé de toute bonne interview anti AAD… la médecine-sauveur !
Nous le redisons l’APAAD est une association défendant la possibilité de l’accompagnement des accouchements à domicile par des professionnels de santé qualifiés. Nous ne sommes nullement anti-médicalisation mais pour une médicalisation raisonnée de la naissance réservée au seul cas où celle-ci est nécessaire.
Nous vous renvoyons à notre autre article sur la médicalisation de la naissance [6] et en quoi ce n’est pas elle qui a fait diminuer la mortalité mais bien les conditions de vie. La médecine est venue quant à elle améliorer le pronostic des situations pathologiques or être enceinte et accoucher n’est pas en soi une pathologie. Si l’APAAD défend aujourd’hui l’intégration de l’AAD au système de soin français c’est bien pour faciliter l’identification et la prise en charge des situations pathologiques et recourir aisément au système hospitalier quand celui-ci devient nécessaire.
« Nous n’avons pas à imposer nos délires intellectuels à nos enfants »
Et le voici, le voilà, le propos patriarcal que nous aimons tant.
Nous aimerions savoir ce qui relève du « délire intellectuel » ? Faire un choix sur la base de données épidémiologiques internationales en faveur de ce choix ? S’interroger sur les dimensions éthiques de la naissance ? Prendre le temps d’analyser nos besoins individuels au regards des sciences modernes plaidant pour la nécessaire (re)humanisation de la naissance ? Le tout en demandant à pouvoir être accompagné pour cela d’un-e sage-femme formé-e et respecté-e pour ses compétences…
En quoi le choix éclairé de femmes et d’hommes devrait relever du délire par le simple fait qu’il ne colle pas à la pensée dominante et la principale offre de soin de notre pays ? En quoi l’autre, s’il est différent est-il forcément fou et dénigrable à souhait ?!
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Nous ne répondrons pas à toutes ces questions mais vous invitons à réellement vous interroger… Comment des professionnels au cœur de l’humain peuvent faire preuve d’autant de condescendance vis-à-vis de ceux dont ils doivent prendre soin, au lieu de chercher à les comprendre et les accompagner dans leur singularité.
« Ont fait beaucoup de battage sur les AAD et maisons de naissance (MDN) alors que globalement la demande de la population va dans l’autre sens »
Effectivement même dans les pays où AAD et MDN sont bien intégrés la majorité des familles accouchent à l’hôpital. Mais pourquoi fait-on autant de battage ? Tout simplement parce qu’il est inadmissible que des citoyens soient stigmatisés ou privés de leur droits à choisir pour eux-mêmes du fait d’une pensée dominante écrasante.
L’autre point qui attire sûrement autant la curiosité sur les AAD et les MDN est probablement ce que ces pratiques nous révèlent sur l’enfantement et la force des femmes. Cela attire inévitablement l’intérêt après plusieurs décennies à (faire) croire que le corps des femmes était faible, incapable de mettre au monde sans la technique… après plusieurs générations de femmes ayant vécu la naissance de leur enfant comme le « plus beau jour de leur vie » mais aussi une immense violence ou l’occasion de gestes et humiliations indicibles.
L’AAD et les MDN en démontrant qu’une autre façon de mettre au monde est possible, attirent oui, et c’est tant mieux, car ils permettent également un changement de paradigme dans les hôpitaux qui effectivement correspondent à la plupart des futurs parents. Ils permettent aux familles d’avoir le choix et de s’interroger sur la façon dont ils accueilleront leur enfant, y compris au sein des hôpitaux. Ils permettent aux petits humains que leurs parents les mettent au monde en s’interrogeant sur le sens de « l’accueil » justement. Ils permettent aux professionnels de découvrir une approche salutogénique de la naissance et de modifier leurs accompagnement au regard des besoins essentiels des femmes qui accouchent [7].
En conclusion, merci à ce Médecin de nous avoir donné l’occasion de revenir sur tous ces points, et nous engageons vivement les professionnels de tout bord à réellement s’informer, se former et réfléchir à leur posture vis-à-vis des familles.
Nous ne voudrions pas paraître moralisateur ou à notre tour condescendants, nous avons-nous même cheminé vers le défi de l’alliance du « sécuritaire » et du « choix de l’intime ». Nous savons et vivons à quel point il est difficile dans cette société du risque et de la norme, de travailler en respectant la singularité des personnes. Toutefois nous ne pouvons plus accepter d’être mal mené-e-s, autant familles que sages-femmes, sous prétexte d’être bienveillants. Nous voulons faire le pari que les professionnels de santé ont les capacités et le respect de leur patient suffisant pour être capable de se remettre en question.
Nous voulons faire le pari d’une saine interdépendance et d’un système de santé du « ET » plutôt que du « OU », une offre périnatale du « choix ».
Floriane Stauffer-Obrecht, Pour l’APAAD
N.B nous ne ciblons nullement le gynécologue interviewer en tant que personne mais nous nous basons sur ses propos de manière générale