Floriane Stauffer Obrecht

 

 

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Nouvelle étude sur la sécurité de l’accouchement à domicile : impact sur les croyances actuelles ?

17/09/2019

Nouvelle étude sur la sécurité de l’accouchement à domicile : impact sur les croyances actuelles ?

Résumé : Régulièrement des études sur la sécurité de l’accouchement à domicile paraissent. La dernière en date affirme une fois de plus la sécurité de ce mode d’enfantement. Pour autant le paradigme médical patriarcal et sécuritaire ne tient que peu compte de ces éléments factuels. Nous vous proposons de revisiter cette notion du « risque obstétrical »

Une étude de grande ampleur sur l’accouchement à domicile vient d’être publiée [1]. Cette méta-analyse avait pour objectif d’évaluer si la mortalité maternelle et infantile lors de l’accouchement et dans le premier mois qui suit est plus élevée à domicile qu’à l’hôpital. Les résultats d’environ 500.000 naissances prévues à domicile ont été comparés à des nombres similaires d’accouchements à l’hôpital dans ces huit pays, soit environ un million de naissances.

 

« De plus en plus de femmes dans les pays dotés de ressources importantes optent pour une naissance à la maison, mais l’inquiétude persiste quant à leur sécurité […] Cette recherche démontre clairement que le risque n’est pas différent lorsque la naissance est destinée à être à la maison ou à l’hôpital. […] Nos recherches fournissent des informations indispensables aux décideurs, aux prestataires de soins, aux femmes et à leurs familles lors de la planification de la naissance »

Eileen Hutton, professeure émérite d’obstétrique et de gynécologie à McMaster au Canada, directrice fondatrice du McMaster Midwifery Research Center et première auteure de l’article.


Méthodologie

L’équipe d’Eileen Hutton a utilisé les données provenant de 21 études publiées depuis 1990. Ces études comparaient les résultats d’accouchement à domicile et à l’hôpital en Suède, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre, aux Pays-Bas, au Japon, en Australie, au Canada et aux États-Unis.

La méthodologie est rigoureuse, publiée et validée par des pairs, et le choix des cohortes attentif à l’homogénéité des populations étudiées (comptabilisation de la parité par ajustement statistique ou appariement ) et à la définition de la population à bas risque. Contrairement à d’autres recherches l’équipe du « Mc Master Midwifery research » s’est en effet attaché à n’inclure que des études où les femmes désirant accoucher à domicile avaient été suivies et dont l’accouchement s’inscrivait dans le cadre du bas risque obstétrical. Ce critère est la condition sine qua none pour la programmation d’un accouchement accompagné à domicile (AAD) dans l’hexagone également.

 

Synthèse des résultats


L’étude n’a pas retrouvé de différence significative de mortalité maternelle ou néonatale entre les femmes prévoyant d’accoucher à domicile ou à l’hôpital. Ces résultats sont valables quelle que soit la parité de la femme et le niveau d’intégration des sages-femmes et de l’AAD au système de soin périnatal national.

Un score Apgar inférieur à sept à 5 minutes (enfant ayant une mauvaise adaptation à la vie extra-utérine) est apparu moins fréquemment parmi les accouchements prévus à la maison que les accouchements à l’hôpital chez les multipares et quand les sages-femmes étaient bien intégrées au système de soin.

Le nombre d’admission de nouveau-nés en service de soins néonataux est égal ou significativement moindre pour les enfants nés à domicile que pour ceux né à l’hôpital.

 

Peut-on en tirer des conclusions pour la France ?


Aucune donnée française n’y figure puisqu’à ce jour ce mode d’accouchement n’est pas évalué en France et il n’existe pas d’outils de recueil de données officiel le concernant. Quelques rares travaux universitaires français s’y sont intéressés mais leur puissance statistique n’est pas suffisante pour faire partie d’une telle méta-analyse.

Pour autant la principale conclusion est que la mortalité mère/enfant n’est pas impactée par le choix du lieu de naissance chez les femmes à bas risque, quel que soit le niveau d’intégration des sages-femmes dans le pays. Il n’y a donc aucune raison que ces éléments ne s’appliquent pas à la France, qui est un pays aussi développé que les pays où ont eu lieu les études. C’est-à-dire avec des conditions de vie et d’accès aux soins comparables, une organisation de la santé périnatale tout aussi efficiente et un niveau de formation des sages-femmes tout aussi performant.

Seul le score d’Apgar à 7 minutes semble dépendre du niveau d’intégration des sages-femmes. Cela peut s’expliquer par le fait que plus les professionnelles sont intégrées, plus le recourt au transfert perpartum est aisé, et plus elles ont accès à des formations médicales continues. En France si l’AAD est peu intégré, les sages-femmes en revanche le sont parfaitement (formation initiale universitaire, intégration aux réseaux périnataux, régulation de la profession, obligation et financement de la formation continue…). Des améliorations sont toutefois souhaitables et possibles et c’est l’un des principaux objets de notre association APAAD.

 

Devrions-nous nous réjouir de cette nouvelle publication ?


Comme à chaque parution d’une étude du genre, la communauté sage-femme s’empresse de diffuser l’information et les défenseurs de l’AAD, parents ou professionnels, se font le relais de celle-ci et se réjouissent. Cependant malgré d’autres études déjà parues, malgré le positionnement d’instances internationales de plus en plus nombreuses, la France reste à l’heure actuelle enlisée dans une situation difficile pour les sages-femmes AAD et les familles souhaitant accoucher chez elles.

L’APAAD a parmi ses objectifs de publier un rapport épidémiologique de l’AAD chaque année afin de fournir aux décideurs, comme au grand public, des données fiables sur la sécurité de l’AAD dans notre territoire.

En effet dans notre pays, la plupart des décideurs et instances scientifiques en appelle encore au supposé risque « accru » de l’AAD pour, au mieux ne pas aider à l’intégrer au système de soin, au pire essayer de le faire disparaître de notre territoire. Il est étonnant de constater comment une société de « l’évidence par les preuves » reste enfermée dans des préjugés et ne veut pas voir lesdites « preuves » en matière de naissance.


Retour au Moyen Âge ?! Avant femmes et bébés mouraient massivement en couches non ?


Parmi nos contemporains, de la gynécologue à la sage-femme, de la boulangère au bibliothécaire, tous ont intégré l’idée qu’avant la naissance hospitalière, la mortalité maternelle et infantile était élevée et que c’est la médicalisation à elle seule qui aurait apporté le salut des malheureuses. La croyance est bien inscrite dans notre inconscient collectif.

 

Pourtant lorsque l’on étudie l’histoire des femmes et de la maternité comme l’ont fait notamment Marie-France Morel, Yvonne Knibiehler ou Paul Cesbron, ce sont d’autres données qui apparaissent.

Évidemment, notre propos n’est pas de dire que la médecine n’a pas son intérêt ; nous sommes nous-mêmes des professionnelles médicales ; mais de comprendre le contexte qui a mené à l’actuel paradigme.

Tout d’abord il faut remettre la mortalité en couches dans le contexte de la mortalité globale des différentes époques. Le parallèle entre les conditions de vie et la santé des populations n’est plus à démontrer et le parallèle entre le niveau de santé des mères et l’issue de leur accouchement non plus, grâce entre autres, aux travaux de la statisticienne Marjorie Tew[2]. Aussi dans des périodes où les femmes étaient plus nombreuses à être « à risque » leur mortalité et celle de leur nouveau-né l’était donc tout autant.

 

Un exemple intéressant lorsqu’on étudie la période allant du XVIIème siècle à nos jours est que les records de mortalité maternelle furent observés en mai 1856 à la maternité de Port Royal et ceux de la mortalité infantile chez les bébés abandonnés de l’assistance publique durant la même période [3]. Qu’est-ce que cela nous dit ?

A l’époque de ce pic de mortalité où les femmes accouchaient majoritairement chez elles, les hôpitaux était le lieu où accouchaient les miséreuses sans domicile, les prostitués, les filles-mères, les femmes enceintes hors mariage qui avaient dû fuir famille et village. En résumé il s’agissait des lieux pour des femmes fortement vulnérables tant psychiquement que physiquement, carencées notamment en vitamine D créant des anomalies du bassin, exposées aux facteurs infectieux et dénutries. Les conditions d’hygiène et de soins au sein de l’hôpital étaient aussi bien médiocres.

Les bourgeoises et les paysannes accouchaient, elles, avec leur sage-femme, à leur domicile.

 

Plus tôt encore, les premiers médecins qui avaient à intervenir lors des accouchements étaient appelés en dernier recours. Les délais et conditions d’intervention et d’hygiène étaient alors bien loin des nôtres, les praticiens avaient bien peu de connaissances. Les créateurs de l’obstétrique du XVIIème siècle ont donc fondé leur art sur des cas hautement pathologiques, à l’issue prévisiblement tragique. Ils n’observaient jamais ou très rarement les femmes qui accouchaient physiologiquement, ou les soins prodigués par les sages-femmes et les matrones.

 

La discipline obstétricale même, s’est donc construite sur une vision hautement anxiogène et pessimiste de la naissance, que l’on comprend parfaitement vu les conditions de vie et de travail des fondateurs de cette discipline, contrairement à la profession de sage-femme traditionnelle. Les sages-femmes accompagnaient les femmes depuis toujours et avaient tout le loisir d’observer et comprendre la physiologie. Malheureusement à cette époque il n’y avait pas de place pour les femmes (ou de façon exceptionnelle) et encore moins pour les femmes de savoirs.

 

Mais cette époque est aussi le début de la prise de contrôle de l’église, de l’Etat et des hommes sur le corps des femmes et de ce fait de la construction du paradigme patriarcal encore en cours de nos jours. Nous ne développerons pas plus ici tant le sujet est riche et nécessiterait de développement.

 

Une obstétrique hospitalière née de la dystocie


C’est donc pour répondre à leurs problématiques de médecins centrés sur des situations pathologiques dans des contextes à risque que l’obstétrique s’est développée. Une obstétrique née de la dystocie et dans la dystocie donnant une vision fortement biaisée de la naissance ! Toutes sages-femmes ayant alterné différents postes dans des structures de niveau de soins différents sait à quel point le contexte dans lequel nous exerçons modifie notre perception de l’enfantement. Et dans une même structure, toute équipe qui fait face durant une période à différentes situations difficiles va être impactée et ses procédures également.

 

Les médecins de l’époque ont étudié et décrit la naissance en observant des femmes dans des situations critiques, à l’époque du tout domicile, puis des femmes accouchant en milieu hospitalier, soumises à des contraintes de lieu et de temps et avec des profils à risque. Confrontés à ces pathologies, ils ont cherché des solutions et ont créé des interventions qui ont sauvé des vies… mais pas que… et sont encore actuellement de précieux recours en cas de pathologies AVÉRÉES.

 

Comme nous l’avons exposé précédemment, toutes femmes confondues, parmi les principaux facteurs qui ont amélioré la santé des citoyens nous retrouvons l’amélioration du statut des femmes dans la société et la régulation des naissances. Meilleure santé, meilleures conditions de vie, meilleures conditions de travail… sont, avec l’hygiène, autant de facteurs ayant permis la diminution de mortalité néonatale et maternelle.

Rappelons enfin que, comme l’a développé de manière brillante Stéphanie St Amand [4] dans son important travail sur la question de l’enfantement, si l’on rapporte l’histoire de l’humanité sur une échelle de 24 heures, la médicalisation de la naissance ne représente que 30 secondes ! Durant les 23 heures, 59 minutes et 30 secondes qui ont précédé, l’humanité a survécu au point d’atteindre un état de surpopulation, les femmes ont enfanté le monde avec leurs seules ressources et l’aide de femmes avisées.

 

Depuis quelques années, le paradigme obstétrical actuel est régulièrement remis en question par les découvertes scientifiques et sociologiques. Les praticiens hospitaliers et les instances scientifiques eux-mêmes revoient leurs procédures et leurs façons de traiter les parturientes. Et admettons-le, c’est un vrai défi aux vues de la culture médicale actuelle pour les praticiens de notre époque (toutes professions confondues) de revoir leur système de pensée mais aussi pour la population générale.


Le risque réel versus l’incertitude qui génère la peur


Donc malgré une littérature scientifique de plus en plus riche, le risque autour de la morbi-mortalité en cours d’accouchement reste largement brandi dans notre pays et en particulier lorsqu’on envisage de délocaliser la naissance en extra-hospitalier.

 

Le risque réel de l’AAD, comme le démontre l’étude qui a donné lieu à cet article, ne semble pas celui intégré par notre collectivité. Malgré tout, même lorsque nous objectivons et relativisons ce risque réel par des études, reste la peur de l’incertitude. Et en effet, notre société est désormais une société du risque. Le risque est devenu une dimension constitutive de la modernité au sens où l’avenir dépend désormais de décisions dont les conséquences sont incertaines.

 

L’obstétrique moderne suit tout naturellement ce même mouvement et vise, en utilisant les mêmes codes que les entreprises et les politiques, à limiter au maximum les surprises, à anticiper/organiser/protocoliser, afin d’obtenir un résultat « parfait » ou presque. L’utopie d’un risque zéro combinée au culte de la médecine a conduit à une idéologie préventive dépassant toute évaluation statistique. Nous constatons d’ailleurs bien la part de plus en plus importante que prennent les sociétés d’assurance dans le milieu médical, allant jusqu’à évaluer et définir les politiques de service des hôpitaux.

 

Les professionnels noyés dans ce contexte ont besoin de tenter de « rationaliser » le corps de la femme et du fœtus pour faire face aux exigences de cette société [5]. La majorité des familles sont elles aussi dans cette dynamique.

 

Changer le paradigme tout en répondant aux codes sociétaux ?


Pour conclure, nous constatons que si nous souhaitons réellement modifier le paradigme actuel, les données scientifiques ne suffiront pas. L’AAD et ses praticiennes, pour s’intégrer véritablement au système de soin, dans l’intérêt des familles, doivent non seulement donner des preuves de leur sécurité mais aussi répondre au besoin de « contrôle » de notre système sociétal.

Tout l’enjeu étant que cela ne se fasse pas au détriment du savoir accoucher inné des femmes et de l’art de la pratique sage-femme mais simplement en trouvant une saine interdépendance entre 2 mondes différents mais ayant le même objectif : permettre aux femmes de vivre l’enfantement de manière épanouissante et sécuritaire.

 

Floriane Stauffer-Obrecht pour l’APAAD




[1]Eileen Hutton ; 2019 ; Perinatal or neonatal mortality among women who intend at the onset of labour to give birth at home compared to women of low obstetrical risk who intend to give birth in hospital: A systematic review and meta-analyses

[2] Marjorie Tew ; 1990 ; Safer Childbirth: A Critical History of Maternity Care,

[3]Marie-france Morel; Histoire de la naissance en Occident (XVIIe – XXe siècles)

[4] Stéphanie saint amand ; 2013 ; thèse de doctorat – déconstruire l’accouchement : épistémologie de la naissance, entre expérience féminine, phénomène biologique et praxis technomédicale

[5] Solène Gouilhers-Hertig ; 2017; Gouverner par le risque: une ethnographie comparée des lieux d’accouchement en Suisse romande