Floriane Stauffer Obrecht

 

 

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Les petites filles du féminisme et leurs seins

07/08/2019

Les petites filles du féminisme et leurs seins

A l'occasion de la SMAM dont le thème est cette année "Autonomiser les parents, faciliter l'allaitement" j'avais envie de partager quelques réflexions personnelles sur l'allaitement en France et en quoi ce thème m'a fait faire un lien direct entre allaitement et féminisme.

"Vous avez obtenu le beurre ?! Nous voulons l’argent du beurre !"

Les petites filles du féminisme et leurs seins

 

Du 1er au 07 aout (1) se déroule la Semaine Mondiale de l’allaitement maternel (SMAM). Cet année le thème retenu est « Autonomiser les parents, faciliter l’allaitement ».


Avec 2 de mes sujets de prédilection réunis je ne peux résister à partager quelques réflexions sur la SMAM de cette année. L’allaitement serait une source d’autonomisation ? de gain de confiance ?


  •        Pourtant chaque semaine ma binôme et moi visitons de jeunes accouchées fragilisées, doutant d’elles-mêmes, persuadées être incapables et mauvaises mères.

"Je te jures, ils m’ont pressé les seins et ils m’ont prouvé que je n’avais pas de lait " me dit-elle les seins engorgé jusqu’aux amygdales !

"Ils m’ont expliqué que je mettais mon bébé en danger et ne pourrais pas sortir si je ne donnais pas des compléments. A 2 jours il avait perdu 6% de son poids c’était trop dangereux, et dire que pour mon plaisir je l’ai mis en danger… " pleure-t-elle son bébé dans les bras, +150g en 24h sur la balance ! (2)

"A la visite de reprise de travail, le médecin a voulu me presser les tétons pour vérifier que j'avais encore du lait quand j'ai demandé les aménagements légaux pour l'allaitement maternel..."

Si le débat s’est largement ouvert sur les violences obstétricales, nous pouvons ici voir comment celles-ci vont se prolonger en post-partum : domination par la peur, intrusion physique, dévalorisation

  •        Chaque jour nous accompagnons des femmes fatiguées et soumises aux diktats de la société : tout gérer seule, vivre selon le temps sociétal (lever 9h max, repas à 12h et 19h, sortir l’après-midi ou recevoir…) au lieu de les laisser plonger quelques semaines dans le temps biologique (écouter son corps et ses besoins), retrouver rapidement une bonne libido, redevenir productive et aller au travail à 2,5mois… Biensûre si elles allaitent ce sera la faute de l’allaitement, cet acte aliénant ! Cela est bien plus confortable et facile que de repenser en profondeur ce moment de la vie des femmes et des couples qu’est le 4ème trimestre de l’enfantement et de faire des choix sociétaux audacieux.
  •        Chaque mois nous rencontrons des femmes blessées par « l’échec » d’un premier allaitement (souvent du fait des problématiques des 2 précédents tableaux) et l’envie de « réussir » le prochain mais dont l’estime de soi et la confiance a été mise à mal.


Nous voyons à quel point l’allaitement, s’il est naturel, est aussi culturel. A quel point l’allaitement dans une société dont ce n’est pas/plus la culture est mis à mal là où les « sociétés savantes » le recommande. 


 


Les femmes des années 70 ont brûlé leurs soutien-gorges, nous voudrions les tacher de lait ?!


Vu ces éléments, nous pourrions comme les féministes égalitaires nous contenter de reléguer l’allaitement au rang des contrainte biologique asservissante. Nous pourrions, nous femmes du nouveau millénaire, prendre des inhibiteurs de la lactation et acheter des préparations pour nourrisson. Et pour celle qui font ce choix c'est qu'en France nous ayons accès à cela de manière sécuritaire pour nos bébés et facile pour nous.

Oui, mais si nous sommes les petites filles des dites féministes égalitaires, nous sommes aussi les filles d’un autre temps et une large proportion d'entre nous souhaitent pouvoir vivre leurs activités reproductives de façon épanouissante autant que leurs activités productives.


Merci Mamie (ou maman) de nous avoir permis de faire des études, travailler, décider si et quand faire nos bébés mais nous voulons aussi pouvoir décider comment les faire et les materner, pouvoir le faire en restant chez nous ou en travaillant, sans passer d’un diktat à l’autre. Et rassurez-vous mamie et maman ce n’est pas un retour en arrière, loin de nous l’idée de revenir en 1900, on garde les acquis et on continue à les défendre c’est promis.


D’ailleurs promis aussi nous ne remettrons pas les soutien-gorge que vous avez brûlé, les armatures ce n’est pas bon quand on allaite !


Vous avez obtenu le beurre, nous voulons désormais l’argent du beurre… et pourquoi pas le sourire de la crémière en prime ! Mais pour cela nous avons besoin de soutien, nous avons besoin que le féminisme défende le féminin dans tous ses aspects.

Et l’allaitement, quand il est facilité, est un levier féministe qui amène les femmes à l’empowerment et leurs amoureu-se-x dans leur sillage, qu’on se le dise.

 


L'allaitement en autonomie et facilité serait vecteur d'empowerment ?


En parallèle des situations vues plus haut, ma binôme et moi accompagnons surtout des femmes dès le début de leur grossesse dans une approche salutogènique (3) et autonome. Elle nous montre un tout autre visage de l’allaitement.


Ces femmes ; lorsqu’elles font le choix de l’allaitement, sont informées de manière éclairée et loyale et sont soutenues (4) ; peuvent vivre une expérience épanouissante qui leur donne confiance en elle et leur permet d’accéder à l’autonomie. L’allaitement devient alors une expérience initiatique positive et valorisante qui pourra être modélisante pour d’autres champs de leur vie privée ou professionnel. Certaines font une « pause » dans leur vie professionnelle pour le vivre et d’autres retournent travailler. Certaines sont patronnes ou s’installent en libérale tout en allaitant. La confiance gagner dans leur vécut de femme, que ce soit lors d’un accouchement vécu en puissance et en confiance, ou/et dans un allaitement vécu aussi ainsi, apporte une expérience psycho-corporelle dont la portée est bien plus grande que tout grand discours puisque directement inscrite dans nos cellules.

 

 

Et concrètement comment on facilite ?


Attention, quand je parles de notre travail au cabinet, je tiens à préciser que nous n’avons que peu de responsabilité dans leur autonomisation. C’est elles, les femmes, qui font le travail et aurait pu le faire sans nous. Nous nous contentons de faire notre métier et d’être une des parties de leur matrice de soutien. Nous ne sommes là que pour les guider si et selon leurs besoins vers l’autonomie en appliquant les recommandations de l'OMS en faveur de l'allaitement. Comme le rappelle le thème de la SMAM, nous sommes des « facilitatrices ». Nous accompagnons d’ailleurs des femmes qui ont fait ce chemin d’autonomisation sans nous, là n’était pas le propos.


Ce qui me semble important c’est le fait que l’allaitement ai été FACILITE pour la mère : préparation, accompagnement, MISE EN LIEN avec d’autres mères et associations, soutien, CONFIANCE en ces femmes et leurs bébés validant leur choix et leur façon de faire si elles en avaient besoin, travail sur les croyances limitantes, informations sur les droits des femmes allaitantes notamment dans le cadre du travail… mais aussi préparation et accompagnement du père/la partenaire pour encourager la responsabilité partagée pour ce qui est des soins aux enfants sur un pied d'égalité ; voir de la famille , la future nourrice…

 

L'OMS entre autre à élaborer une série d'infographies sur les manière de faciliter l'allaitement à tous les niveaux.

 

Cette année, l'OMS s'associe à l'UNICEF pour une campagne revendiquant notamment :

  • d'instaurer un congé de maternité rémunéré d'une durée minimale de 18 semaines et un congé de paternité rémunéré
  • de permettre l'accès à un lieu de travail adapté aux parents pour protéger et soutenir leur capacité de continuer à allaiter à leur retour au travail en leur accordant des pauses pour allaiter, un espace sûr, privé et où les normes d’hygiène sont respectées pour tirer et conserver le lait. La loi le prévoit déjà mais son application est limitée.

 

 

De façon plus générale nous pouvons dire de l’allaitement transmis dans une idée d'autonomisation des familles que :

  •        Il rend la femme autonome vis-à-vis du système marchand (gratuit, sans matériel et toujours prêt) et la sort de son rôle de « consommatrice ».
  •       Il donne un sentiment de confiance en ses capacités, de force, de puissance pour celle qui s’émerveille ; et il y a de quoi ; de réussir à faire grandir un bébé humain avec le lait qu’elle produit
  •       Il émancipe les femmes des « experts »
  •       Il libère la femme d’une vision du corps objet/sexuel et notamment les seins
  •       Il pousse les femmes à s’interroger sur leurs conditions de travail, leur place dans l’entreprise et la société, à se faire respecter
  •       Il encourage la solidarité et la collaboration entre les femmes

 

Pour conclure interrogeons-nous. Comme toutes grandes étapes de nos vies, la façon dont nous allons vivre le maternage de nos bébés sera initiatique. Que choisirons nous qu’elle initie cette étape :

  •        La pensée que nos corps de femmes sont défaillants, limitants, contraignants, qu’ils nécessitent l’aide d’expert pour les vivre « à peu près » correctement ou de la médicalisation pour shunter « l’épreuve »

OU

  •        La pensée que nos corps de femme sont puissants et fiables pour peu que nous les connaissions et les comprenions et que ceux-ci sont compatibles avec une vie sociale et professionnelle choisie et épanouie ?


La façon dont les professionnels et l’entourage vont « faciliter » l’allaitement sera donc déterminant sur le rapport à son corps et son estime d’elle-même que gardera la femme.


Il s’agit ici de faciliter l’allaitement mais aussi de le faciliter réellement, dans la confiance et l’empowerment et non selon des règles qui tiennent plus à des croyances qu’à des faits avérés ou avec un lot de violences obstétricales puis sociétales en prime.


Si allaiter est un choix compatible avec le féminisme, l’accompagner l’est également. Permettre aux femmes qui le souhaitent, d’allaiter autant de temps qu’elles le veulent, où et comme elles le veulent permet leur autonomisation et la création d’un sentiment de confiance.

 

(1)   

 

(1)     (1) En France l’événement se déroule du 1er au 7 octobre

(2)   (2) Le seuil de perte de poids nécessitant intervention est de 10% du poids de naissance. Apres une stabilisation du poids vers J3, la pris de poids est en moyenne de 20-30g/j le 1er mois.

(3)    (3) La salutogénèse est une approche consistant a aider l’individu à contacter et activer ses forces et ses atouts pour se maintenir en santé plutôt que de rechercher les pathologies et éviter les facteurs de risques.

         (4) faut-il rappeler qu’elles peuvent choisir de biberonner ?)

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